Conséquence directe de la crise du COVID-19 : 82% des entreprises françaises ont envie de changer de façon à être plus agiles. Elles ont tout intérêt à repenser leurs stratégies par le design. Explications.
La résilience, cette capacité à absorber les éléments extérieurs pour résister, se réinventer, et perdurer, a été sur toutes les lèvres.
Être capable d’ « absorber », devenir une entreprise « éponge » pour s’imbiber de son environnement, muter en profondeur et répondre aux nouveaux besoins, devient un élément vital des entreprises dramatisé par la crise. Encore faut-il le reconnaître…
Arnaud Marion, Président de Marion and Partners et fondateur de l'Institut des Hautes Études en Gestion de Crise épinglait récemment les œillères mises par certaines entreprises qui, soutenues par les aides de l’État, refusaient l’idée même de mutation. Selon lui, les entreprises qui refusent toute transformation « vont mourir », et doivent avoir le courage de reconnaître que « leur modèle n’est pas pérenne. Elles doivent se transformer. S’interroger sur leur chaîne de valeur et remettre en cause le modèle économique, la façon de vendre ».
Même son de cloche chez Yves Pigneur co-auteur de The Invincible Company : « Quand nous prônons le changement et l’adaptation, cela ne signifie pas retourner à l’état d’avant mais explorer des terrains où nous ne sommes pas déjà allés ».
Et ici le design centré sur les utilisateurs (ou human centered design) a beaucoup à nous apprendre. Longtemps cantonné à des actions tactiques, la méthode pourrait bien prendre une dimension plus stratégique pour mener la transformation des entreprises et des marques.
L’écoute, sens prioritaire du design
Le design puise son essence dans l’écoute approfondie des consommateurs pour identifier les zones de tension dans lesquelles les marques sont légitimes pour intervenir. Ethnologues, anthropologues, sociologues… sont ainsi intégrés à la démarche dans une véritable dynamique de recherches pour capter la zone d’action la plus porteuse (offres, services, communication) qui permettra de faire la différence.
Or que nous a appris cette crise ? La puissance de l’écoute, justement. Face à un monde confiné, dans lequel la visibilité était plus que jamais trouble et obstruée, les entreprises qui ont su tendre l’oreille et s’adapter à cette situation sont sorties « gagnantes ».
C’est par exemple ce qu’ont développé les équipes de SUPPER pour le Groupe SEB via une approche consistant à réaliser des terrains d’ethnologie auprès de nouvelles cibles à fort potentiel. Ces recherches ont permis de mettre en exergue l’importance de la raison d’être et des engagements responsables des marques dans une période où la critique du rôle des entreprises prédominait. Un choix recentré, pragmatique pour augmenter l’impact d’un message.
Sans souplesse dans l’exécution, l’écoute reste une caisse de résonance vide
Pour transformer cette écoute, il est nécessaire d’arrêter de vouloir faire du business à partir de ce que l’on a et de ce que l’on sait, pour répondre réellement aux problèmes que rencontrent les consommateurs.
Dans cet exercice, de nombreuses startups ont excellé pendant la crise en pivotant rapidement (19,6 % des startups françaises ont changé de business model selon une enquête menée par Station F et 120 fonds d’investissement), mais l’écoute et l’adaptabilité ne sont pas l’apanage de ces dernières.
Intermarché et SUPPER ont pour exemple réalisé un exercice inédit, une forme « d’anthropologie numérique » en créant une cellule dédiée qui récoltait de façon continue les besoins et les doutes des français. Ces données étaient analysées et faisaient l’objet d’un comité éditorial serviciel quotidien. Une méthodologie qui a permis de dégager très vite les besoins et les doutes des clients de façon à activer de nouvelles offres et de nouveaux services. Le distributeur a pu ainsi concevoir des micro-services d’information, de sensibilisation et d’assistance pour répondre à leurs attentes le jour même, dans les magasins et via le digital (e-commerce, CRM, réseaux sociaux), sans limitation sur thèmes (sanitaires, alimentaires, budgétaires...).
Allons un cran plus loin. Doit-on encore faire la démonstration d’industries entières qui se sont réorganisées pour produire masques et gels hydroalcooliques ou des chaînes de production qui se sont transformées pour se réapprovisionner au niveau local ? Des mastodontes nous ont démontré une réadaptation incroyable que cela soit sous la contrainte, par solidarité ou pour survivre… Alors plus d’excuse.
Faire plus avec moins, l’approche frugale du design
En cette rentrée, les entreprises devront faire face à un paradoxe : innover avec moins. C’est ce que l’analyse de l’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation souligne : “dans le contexte de sortie de crise, renforcer la capacité d’innovation est aujourd’hui l’investissement le plus rentable », mais en parallèle, 65% des responsables d’innovation de grands groupes français anticipent une baisse de leur budget suite à la crise. La rentrée s’annonce donc frugale.
Dans ce domaine, le design fait office d’école. C’est d’ailleurs pour cette raison que les ONG ont régulièrement recours à cette méthode agile, maline, et parfois peu coûteuse pour trouver de nouvelles approches propices aux dons.
C’est en visant juste (grâce à son écoute) que le design évite de rentrer dans des logiques de marketing et communication coûteuses. Finie la course à la part de voix pour conquérir l’attention des audiences et justifier la supériorité d’une offre.
Collectif : au-delà des murs, apprendre à designer ensemble
Autre enseignement majeur de cette crise : la puissance de la collaboration. Les initiatives ont été nombreuses, remarquées et remarquables. Que cela soit via le consortium entre PSA, Air Liquide, Schneider et Valeo pour fabriquer 10 000 respirateurs au plus haut point de la crise, ou des alliances solidaires comme le fonds « J’aime mon bistrot » à l’initiative de distributeurs, industriels et startups, les entreprises ont démontré leur capacité à créer ensemble.
C’est ainsi que la crise a également consacré les modèles coopératifs comme témoigne Pierrick de Ronne, Président de Biocoop : « Grâce au modèle coopératif, la réorganisation s’est faite de façon naturelle. Ce modèle de gouvernance a montré ses forces ». Des décisions communes, des réorientations stratégiques collectives s’appuyant sur différentes compétences. Le collectif a montré sa résilience face à la crise.
Cette dynamique, ne se cantonne pas qu’à l’interne et peut aller jusqu’à intégrer les clients. Prenons le cas de l’automobile avec un confinement marqué par la fermeture des concessions et l’immobilisation de la plus grande partie du parc. Pour anticiper la réouverture des concessions, Volvo France a co-conçu un bouquet de services adéquat, en cassant les silos au sein de l’organisation et en impliquant les clients eux-mêmes (professions libérales, patrons de TPE, PME, gestionnaires de flottes...). L’activation pragmatique et progressive de ce bouquet de services a permis de fédérer l’ensemble des publics internes et externes de l’entreprise pour créer une nouvelle dynamique propice à la reprise.
Et oui... c'est rentable
Un rapport Forrester sur le futur des organisations met en lumière le retour sur investissement de ces approches design. L’étude constate une progression du ROI supérieure à 85% pour les entreprises ayant adopté cette approche.
Alors oui, pour dessiner concrètement « le monde qui vient », plus respectueux des citoyens et de l’environnement nous aurons bien besoin d’un (re)design profond, stratégique, de nos entreprises pour renouer avec des modèles qui mêlent sens et croissance.
Par Jeremy Lopes - L'ADN
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